Pologne, père et fils
By Michal Krupa
Special to Consortium News
Le Premier
ministre Mateusz Morawiecki a mené la charge en Europe contre tout relâchement
de la politique de sanctions antirusse de l'UE, accompagné de stratagèmes
rhétoriques tels que la comparaison du président russe Vladimir Poutine non
seulement à Hitler, mais aussi à Joseph Staline et à Pol Pot.
Dans une
bataille de mots avec Emmanuel Macron, Morawiecki a critiqué le président
français pour avoir maintenu ouvertes les lignes de communication avec le
Kremlin. « Il ne faut pas négocier avec les criminels, il faut les
combattre », a déclaré Morawiecki.
Début mars,
Morawiecki a révélé son “plan en 10 points pour sauver
l'Ukraine”, qui équivaut à peu près à un isolement total de la Russie et à une
pression sur la population russe pour qu'elle agisse contre Poutine.
Morawiecki
semble avoir clairement fixé son objectif de se débarrasser du dirigeant russe
via un mélange de sanctions sévères, d'augmenter les pertes des Russes en
Ukraine et de faire clairement comprendre que, du moins en ce qui concerne la
politique polonaise, un changement de régime à Moscou est la fin désirée, en
tout sauf le nom. Au diable les autres considérations. On pourrait avoir
l'impression que Morawiecki agit comme si c'était la Pologne qui était
militairement attaquée.
Kornel
Morawiecki
Cela
pourrait toutefois en surprendre plus d'un que cet empressement à être à
l'avant-garde de la guerre par procuration de l'Occident contre la Russie
en Ukraine ne soit pas, pour ainsi dire, de famille. Le père du Premier
ministre polonais, Kornel Morawiecki, qui a succombé en 2019 à un cancer du
pancréas à 78 ans, qui était une légende parmi les opposants anticommunistes de
la vieille école, en est le meilleur exemple possible.
Bien qu'il
ait été le fondateur de l'un des groupes d'opposition clandestins les plus
radicalement anticommunistes de Pologne dans les années 1980, ‘Solidarité
combattante’, Kornel Morawiecki a fait preuve à la fin de sa carrière
politique, – au cours de laquelle il était député et membre d’honneur
du Sejm polonais, – d’une attitude tout à fait
différente vis-à-vis de la position géopolitique de la Pologne et, par
extension, de la Russie.
Si l'on
devait établir un clivage idéologique simpliste entre le père et le fils, on
peut dire que le père était définitivement le réaliste, tandis que le fils
était et reste l’idéologue belliciste.
Dans
une interview en 2018, Kornel Morawiecki a
déclaré qu'il était préoccupé par le manque de relations normales entre les
autorités polonaises et le président russe. Se référant à son fils, Morawiecki
a déclaré :
« Ce
serait bien pour la Pologne, pour nos intérêts, si nos autorités, Monsieur le
Premier ministre, invitaient Vladimir Poutine dans notre pays. Cela
signifierait un progrès dans les relations entre les deux pays. »
Il a
ensuite posé une question que beaucoup d'entre nous, qui ne veulent pas voir la
Pologne entraînée dans une guerre, se posent aujourd'hui :
« Pourquoi
le président des États-Unis et la chancelière allemande entretiennent-ils des
relations directes avec Poutine, alors que le président polonais, le Premier
ministre polonais, évite ces relations avec Poutine ou n'essaie pas de les
établir ? Je ne vois aucun geste des autorités polonaises. Cela me met
très mal à l'aise. »
Nul doute
que Morawiecki-père serait affreusement mal à l'aise aujourd'hui, considérant
que depuis son élection en 2015 le président polonais Andrzej Duda n'a eu aucun
contact direct avec Vladimir Poutine à titre officiel.
Lorsqu'en
2019, Duda a proposé au président américain de l'époque, Donald Trump, la
construction d'une base militaire américaine permanente en Pologne, qui, pour
des besoins évidents de relations publiques à ce moment-là, a été qualifiée par
le chef de l'État polonais de "Fort Trump", Morawiecki-père a observé qu'il ne voyait pas la
nécessité de construire des bases de l'OTAN en Pologne, car « c'est
comme nous préparer à la guerre ».
Morawiecki-père
a poursuivi avec ce commentaire :
« Nous
devons essayer d'améliorer nos relations avec la Russie, nous devons essayer
d'imprégner tout le système de la politique orientale d'un contenu positif,
nous ne devons pas chercher ici une querelle. Il n'est pas dans notre intérêt
d'aller dans une direction qui exacerbera la situation polono-russe. Ce n'est
pas dans l'intérêt de la Russie, ni dans notre intérêt. »
Des mots
forts d'une icône de la résistance polonaise à la domination soviétique.
Mais ce
n'étaient que les salves d'ouverture. Dans cette même interview,
Morawiecki-père a accusé le gouvernement que son fils présidait, ainsi que les
médias et les élites, de « dresser les Polonais contre les Russes ».
Il croyait
clairement qu'il était dans l'intérêt vital de la Pologne de rechercher un
rapprochement avec Moscou. Parlant de l'attitude de son fils et du chef du
parti au pouvoir Droit et Justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski, envers la Russie,
Kornel Morawiecki a déclaré catégoriquement que « Mateusz a tort et
Jarek a tort ».
Critique
grand public
Bien sûr,
de tels propos n'ont pas pu échapper aux critiques du courant dominant
polonais, à la fois libéral et conservateur, qui considérait la position de
Kornel Morawiecki, selon les mots d'un commentateur, comme une forme du « plus
bizarre des fantasmes ».
Il a
répondu en précisant qu'il n'était guidé que par ce qu'il pensait être dans le
meilleur intérêt de la Pologne, et être désigné comme un pion de Moscou dans
les machinations géopolitiques de Washington l’a fortement indisposé :
« On
dit aussi de moi que je suis un agent d'influence russe. Le fait que quelqu'un
remette en question la sagesse de la présence militaire américaine en Pologne
ne signifie pas qu'il est un agent de l’étranger. »
Pour
beaucoup, malheureusement, le sentiment que seules les troupes polonaises
devraient être stationnées sur le sol polonais était une affirmation
inacceptable, pour des raisons allant du psychologique à la pure idéologie.
Dans l'une
de ses dernières interviews en 2019, Morawiecki-père affirma :
« Je
veux que nous soyons indépendants. Nous nous sommes battus pour l'indépendance,
pour une République solidaire et nous voulons une telle Pologne. Nous devons
avoir de bonnes relations diplomatiques, économiques et culturelles avec les
Russes. C'est une nation proche de nous. Notre sort polonais et le sort de
l'Europe en dépendent. »
La guerre
change les perspectives, évidemment. On ne peut pas dire avec certitude que
s'il était en vie aujourd'hui, Kornel Morawiecki serait aussi fortement que son
fils contre l'invasion russe de l'Ukraine.
Néanmoins,
à moins d'une confrontation nucléaire entre les superpuissances, la Russie
restera le plus grand voisin de la Pologne et les perspectives de renversement
de Vladimir Poutine à tout moment semblent au mieux ténues. Quelles qu'aient pu
être ses réflexions sur la guerre, et contrairement à son fils qui évite toute
idée de désescalade, Kornel Morawiecki adopterait très certainement le conseil
de feu le président américain John F. Kennedy : « Ne négocions
jamais sous l’empire de la peur. Mais n’ayons jamais peur de négocier. »
Le
philosophe politique polonais Bronislaw Lagowski a un jour noté que lorsque
Napoléon Bonaparte s'est rendu en Pologne, Talleyrand lui a conseillé ce qu'il
fallait dire à Varsovie pour plaire aux Polonais : « Parlez le
plus mal possible de la Russie et louez l’héroïsme polonais. »
Cela semble
être le modus operandi de l'Occident, – des États-Unis en
particulier, – lorsqu'il s'agit de soutenir politiquement Varsovie pour
son utilité dans n'importe quel type de guerre, froide ou par procuration, dans
laquelle l'Occident et la Russie se trouvent engagés.
Kornel
Morawiecki, l'une des rares voix publiques dissidentes sur cette question
cruciale et en fait existentielle pour la Pologne, le savait bien. Quelles
qu’auraient pu être ses réflexions sur la guerre actuelle, il résumait
succinctement le sentiment actuel de nombreux Polonais :
« Notre
politique étrangère en est malheureusement réduite à jouer le rôle de la
marionnette de Washington. »
Malheureusement,
dans ce cas on ne reconnaît pas le fruit de l’arbre.
Michal Krupa
Article
original sur Consortium News
UKRAINE: The Realist Father of Poland’s Hawkish PM